CHAPITRE UN
Logane Une fois de plus, je sens mon cœur se déchirer en plusieurs morceaux. Je suis toujours dans cette chambre d’hôpital alors que je regarde ma mère, inerte sur ce lit. Je n’arrive même plus à verser de larmes tant mon corps est vide… complètement vide. Son dernier souffle a eu lieu, il y a une demi-heure. Je m’y étais préparée depuis plus d’un an, mais je n’aurais pu imaginer la puissance de cette souffrance qui m’a traversée quand j’ai vu ses paupières se fermer pour la dernière fois. Je suis toujours assise sur le bord de son lit. Je tiens sa main que je caresse d’un pouce tremblant. Je ne peux pas… Je ne veux pas la quitter. J'entends des murmures derrière la porte et c’est à cet instant que je prends conscience qu’ils vont bientôt venir me chercher. Mes larmes coulent, enfin. Comment pourrais-je continuer à vivre alors que c’est la seule personne qui a toujours été là pour moi? Je ne comprends pas ce qui m’arrive. J’entends une voix m’appeler au loin. Je regarde la pièce, mais je ne vois que ma mère. J’ai mal à la tête et j’ai l’impression de perdre conscience petit à petit. Une étrange sensation de tomber dans un précipice vertigineux m'envahit… Je peux encore sentir la froideur de sa main dans la mienne. Je suis donc toujours là. Non ! Je ne sais plus… Cette voix me rappelle encore et j’arrive à présent à l’identifier correctement. Mel… Oui, c’est bien Mel. Ma meilleure amie m’appelle, mais je n’arrive pas à la voir. C’est le chaos dans mon crâne. Je ne parviens plus à apercevoir quoi que ce soit. Les murs blancs de la chambre d’hôpital viennent de disparaître comme par enchantement. L’odeur incommodante de l’antiseptique s’est évaporée. — Logane ! Réveille-toi, bon sang! Soudain, j’ouvre les yeux. Je remarque Mel qui se tient à mes côtés, les mains sur les hanches, l'air exaspéré. Je regarde autour de moi et constate que je me suis endormie sur le canapé. Ce n’est pas vrai ! J’ai encore fait cet horrible cauchemar… — Logane! Je t’ai demandé d’être prête pour 19 heures! — Quelle heure est-il? — 19 heures 30! Je fronce les sourcils, tentant de me rappeler les raisons pour lesquelles je devais être présentable à cette heure-là. Exaspérée, elle pousse un soupir et me considère d’un air las. — Tu as oublié ?! — Euh… non. Oui, avoué-je en grimaçant. — Billy. Tess. Fiançailles! — Oh et merde! Je retombe contre le dossier du sofa et prends mon visage entre mes mains. Je n’ai vraiment pas envie de subir cette soirée, de voir ces gens crier leur amour à tue-tête. Je n’en ai vraiment pas besoin, pas maintenant. Je n’ai pas le temps d’ouvrir la bouche pour annoncer mes intentions de rester ici que Mel me devance – comme si elle pouvait lire en moi : — Allez, Logane ! Il est temps que tu sortes, que tu voies du monde, que tu t’amuses… — Je suis désolée, je n’ai vraiment pas besoin de ça en ce moment ! Tu n’as qu’à y aller, toi… — Tu sais très bien que je n’irai pas sans toi. Il faut que tu continues… — C’est ce que je fais, non ? Je vais au travail tous les jours, je mange, je parle… — Tu ne souris plus, lâche Mel d’un ton grave. Sa voix me fait de la peine. Je remarque qu’elle souffre de mon silence, mais que puis-je faire d’autre pour l’apaiser ? À vrai dire, depuis que ma mère m’a quittée, je suis toujours en colère. Je fais des crises, m'emporte pour un rien. Mes amies m’ont pratiquement exclue de leurs vies, car je suis devenue insupportable à leurs yeux. Mais Mel est présente, toujours là. — Je t’aime, ma Mel, tu sais… — Je sais, répond-elle en esquissant un faible sourire. — Mon frère m’a encore appelée au bureau, ce matin. — Il veut toujours que tu ailles vivre chez lui ? — Non. Il veut que j’emménage dans la maison qu'il vient de m'acheter sans mon consentement, bien sûr, et de plus, elle se situe près de chez lui. — Tu devrais accepter, Logane. Ton père était si triste la dernière fois quand tu l’as envoyé promener ! — Alors là, non ! Ne le plains pas, s’il te plaît ! Il n’a jamais été là quand il le fallait. Il nous a abandonnées avec maman, car il avait déjà sa petite famille ! Tu es la seule personne qui est au courant… De ce qui s’est passé dans ma vie… Tu es la seule à savoir pour mon frère, et… — Je sais, excuse-moi. Mais là, il s’agit de ton frère justement et il t’aime plus que tout. Tu n’as plus que lui, Logane… Je pousse un soupir d’exaspération. Je n’aime vraiment pas la tournure que prend cette conversation. Je me lève brusquement et arpente mon salon, lançant des regards vifs vers ma meilleure amie. Elle a raison, je n’ai plus que lui, mais quitter cette vie, cette maison, c'est trop dur. Comment abandonner tout ça ? Comment partir si loin de ce qui fait ma vie depuis toujours ? Tout ce qu’il me reste, c'est cette maison et les souvenirs que nous avons partagés avec ma mère… — Écoute, Logane… C’est toi qui parlais de changer d’air. Tu viens même de quitter ton travail aujourd’hui. Ta dernière journée est terminée, alors fonce ! — Je sais, mais… — Tu auras plus de chance de faire ce que tu aimes en Amérique qu’ici, Log. Tu m’as dit que ton frère voulait que tu sois près de lui… qu’il voulait que tu l’aides dans son travail, et tu as beaucoup de talent, ma belle ! — Je n’en sais rien… — Je sais que c’est une décision très difficile à prendre, mais… je pense que Gabriela aurait été d’accord. Au murmure de son prénom, je ferme les paupières. Elle a raison. Ma mère aurait voulu que je parte vivre auprès de mon frère et de mon père. Mais comment avait-elle fait pour ne pas lui en tenir rigueur alors qu’il nous a si lâchement abandonnées ? Je sais qu’ils s’aimaient éperdument, qu’il était le plus grand amour de sa vie, le seul... l’unique comme elle le disait toujours. Je souris à ce souvenir, me remémorant cette phrase si banale qu’elle me sortait toujours quand je parlais de lui. — Je vais répondre ! Je sors de mes pensées et fixe le téléphone. Mel vient de décrocher, réduisant au silence cette sonnerie stridente qui vient d’envahir la maison. Je profite de cet appel pour quitter la pièce et me réfugie dans le jardin. Je respire l’air frais à pleins poumons et attrape mon paquet de cigarettes qui est toujours posé sur le rebord de la fenêtre. Je soupire de soulagement à ma première bouffée. Je m’installe sur la chaise longue et regarde les étoiles brillantes dans le ciel assombri au-dessus de moi. Fumant tranquillement, j’imagine que la plus petite des étoiles se trouve être ma mère. Elle vient de rejoindre ses parents qu’elle n’a pas vus depuis si longtemps. J’imagine qu’ils doivent faire la fête là-haut, alors que ceux qui restent sur Terre sont complètement bouleversés. Je secoue négligemment la tête afin d’effacer les pensées stupides de mon crâne. Moi et mon imagination! Ma mère disait toujours que je rêvais trop, que je pensais trop… je souriais chaque fois qu’elle me répétait cela et je répliquais toujours que cela devait être dans les gènes. Cependant, je sais que Mel a raison. Il est temps pour moi de prendre ma vie en main et de tout faire pour rattraper le temps qu’on nous a volés, à mon frère et moi. Ça fait un mois et demi qu’il m’appelle tous les jours ou presque. Il demande de mes nouvelles et n’hésite pas à me rappeler que je devrais venir vivre auprès de lui. Depuis le départ de ma mère, en fait. Cela fera bientôt deux mois… Il faut que je réagisse! J’écrase mon mégot dans l’herbe et recrache lentement la fumée, essayant de faire des cercles. Peine perdue, je n’ai jamais réussi à faire comme lui. Je suis surprise de ressentir ce que j’éprouve à cette pensée. Je n’ai pas été très gentille avec papa à l’enterrement. Mais comment pouvait-il me demander de le suivre ainsi? Il n’aurait pas dû. Il aurait dû rester dans son coin au lieu de vouloir jouer son rôle de père durant les funérailles. Je réfléchis encore un instant, fixant toujours le ciel comme si j’attendais une réponse. Pourtant, ce n’était pas si compliqué de prendre une décision. Enfin, si… tout de même, me dis-je en pestant. Au moins, je sais que j’aurai tout l’amour dont j’ai besoin auprès de mon frère. Même si je l’ai toujours jalousé d'avoir la présence de notre père à son côté. C’est mon grand frère, et il est très protecteur par-dessus le marché! Je me souviens du jour où je l’ai appelé alors qu’il faisait nuit. Il avait grogné au téléphone, mais dès qu’il avait entendu ma voix, j'avais pu deviner son sourire. Bien sûr, ce jour-là, il ne l’avait pas gardé très longtemps. Je lui avais annoncé l’état pitoyable dans lequel Curtis m’avait mise… Mon frère avait pris le premier avion pour venir me voir. Il avait désiré trouver mon ex-fiancé pour le démolir, mais bien sûr, il l’aurait reconnu… et cela, je ne le voulais pas. Et mon père, comment avait-il pu me demander de tout quitter, ce jour-là? Je repense à ce moment où je l’avais aperçu alors que je venais d’enterrer ma mère. Malgré mes protestations, il n’en avait fait qu’à sa tête et avait assisté aux funérailles. Je sais très bien qu’il l’aimait plus que tout, enfin… c’était ce qu’il disait! Je ne pouvais concevoir d'aimer une personne et rester loin d’elle comme il l’avait fait durant toutes ces années. Pff… je suis vraiment idiote! Je connais très bien les raisons pour lesquelles il restait avec sa femme et mon frère. Il a une certaine notoriété dans son travail et il est très à cheval sur les convictions du mariage. J’enrage malgré tout! Si ses convictions étaient vraiment sincères et importantes à ses yeux, alors pourquoi avait-il trompé son épouse avec une femme sans fortune? La notoriété, les stars, les paillettes! Une vie que je déteste depuis le jour où ma mère m’avait tout raconté au sujet de mon père. La célébrité passait toujours avant la vie de famille et les problèmes que cela comportait. Seule, son image d’époux fidèle et dévoué devait faire table rase de son amour pour ma mère… et pour moi : l’enfant cachée. Depuis ma naissance il met de l’argent chaque mois sur un compte bancaire à mon nom, mais je n’y ai jamais touché… Ce ne sont pas des millions de dollars qui auraient remplacé son amour ou sa présence ! Pourquoi faut-il que dans ce monde, il y ait toujours une personne qui souffre tandis qu’une autre est heureuse ? Pourquoi faut-il qu’il nous manque une seule chose, alors qu’un autre peut avoir les deux ? *** Cela fait plus de dix minutes que je suis réveillée, mais je reste sous la couette. La nuit a été très longue. La soirée des fiançailles de nos amis a été très courte pour Mel et moi. Elle avait remarqué que je n’allais vraiment pas bien et avait décidé de me raccompagner à la maison. Cette décision à prendre avait accaparé toutes mes pensées. Mel était restée avec moi une bonne partie de la nuit, tentant de me faire comprendre que je pouvais avoir une vie bien meilleure aux États-Unis. Pouvoir enfin vivre auprès d’un père qui m’avait toujours manqué, auprès d’un frère qui tenait énormément à moi. Toutes les réflexions qu’elle m’avait lancées au visage pendant notre conversation m’avaient un peu bousculé l’esprit. Dans la nuit, j’avais pris également conscience que je n’aurais pas dû agir ainsi avec mon père. Je vois encore de façon claire son visage pâlir quand je l’avais repoussé le jour des funérailles de ma mère. Il avait pleuré cette disparition, mais je ressentais tellement de chagrin de l’avoir perdue, moi aussi, que j'autorisais uniquement ma souffrance. C’était peut-être égoïste de ma part, je ne sais pas, mais pendant cette douloureuse épreuve, je pensais vraiment que moi seule étais en droit de la pleurer. Aujourd’hui, je regrette amèrement toutes les paroles repoussantes que je lui ai dites. Il faudrait peut-être que je l’appelle pour m’excuser, me dis-je en fixant mon portable. J’hésite encore quelques secondes puis décide de sortir du lit. En passant un peignoir, j’attrape le téléphone et m’installe confortablement dans le fauteuil, près de mon bureau. Bon, il est temps d’agir un peu, Logane ! Je compose alors le numéro de téléphone de mon père et prends une profonde respiration. Je ne suis pas très à l’aise, j’ai peur d’être déçue à nouveau, il doit m’en vouloir. — Allô ? — Papa… C’est Logane… — Ma chérie… Je ferme les yeux un instant à la douceur de sa voix. Mon cœur s’emplit d’une émotion que je tente de refouler malgré moi. — Logane ? — Euh, oui… je suis là, papa. — Tu vas bien ? — Oui, ça va. Et toi ? — Très bien. J’avoue que je suis un peu surpris que tu m’appelles. Tu es certaine que tout va bien ? — Oui. Je vais très bien. Je t’appelle simplement pour te… je te demande pardon pour toutes les méchancetés… — Non, ma puce. Tu n’as pas besoin de t’excuser. Je sais que tu as beaucoup souffert de mon absence, mais je t’ai toujours aimée, ma petite fille… Vous avoir laissé ta mère et toi a été la plus grosse erreur de toute ma vie. J’espère qu’un jour tu pourras pardonner à ton vieux père. Je m’aperçois que mes larmes se sont mises à couler le long de mes joues. Il ne m’avait jamais dit qu’il m’aimait de cette façon. Il n’avait jamais montré qu’il regrettait cet abandon. Je suis perdue… Je ne sais plus quoi penser... Depuis des années, je m'efforce de rester sous une carapace que je me suis forgée pour résister aux sentiments que j'éprouve pour lui. D’ailleurs, ma mère n’avait jamais abandonné l’espoir que je lui pardonne un jour. — Écoute, Logane… — Je m’excuse, papa. J’ai réfléchi à la proposition de Paul et je pense que ce serait bien… enfin, si tu es toujours d’accord… — Tu vas venir ! s’exclame-t-il joyeusement. Je souris en secouant légèrement la tête, face à cette gaieté qu’il manifeste. — Oui, papa. Je crois que oui. — Non, non. Tu ne dois pas seulement le croire, Logane. Tu dois le vouloir alors, c'est ce que tu veux ? Vraiment ? Un silence s’installe entre nous pendant quelques secondes. Un petit laps de temps que je prends pour inspirer de sorte à me donner la force de lui répondre sincèrement. — Oui… je le veux vraiment… — J’en suis très heureux, ma fille ! Quand je vais dire à Paul que tu viens vivre avec nous, il sera… — Non, je… Je préfère que tu ne lui dises pas maintenant, s’il te plaît. Tu sais… Il a été présent quand j’en avais besoin et j’aimerais lui faire la surprise. — Tu as raison, c’est une excellente idée, Logane. Mais dis-moi ? Je sais que tu désires que personne ne sache qui est en réalité ton frère… — J’ai suivi le cours des choses, papa… — Oui, c’est vrai et tout est de ma faute. J’en suis désolé. Mais tout ça, c’est du passé… Je suis seul à présent et je me fiche de savoir ce que peuvent penser les gens ! — On verra quand je serai arrivée, mais… avec sa célébrité soudaine, je n’ai pasenvie qu’on dise qu’il m’a proposé de travailler avec lui, car je suis sa sœur et non pour ce que je peux lui apporter professionnellement parlant. — Logane, ton frère sait que tu as du talent et des capacités pour travailler pour lui ! Il m’a parlé du livre que tu as écrit et c’est pour cette raison qu’il a décidé de te proposer de travailler sur les scénarios de la série… — Je ne sais pas si j’arriverai à être à la hauteur... surtout avec les acteurs qui… Je m’interromps, prenant conscience des mots qui viennent de franchir mes lèvres. Je peste silencieusement tandis que j’entends un ricanement au bout du fil. OK, je comprends que Paul lui a tout raconté. — Euh… Écoute, je dois te laisser. Il faut que j’aille me préparer. — Très bien. Je te réserve un vol et prépare ton arrivée, ma chérie. Je te tiens au courant. — Merci, papa, et n’oublie pas… — C’est promis, je ne lui dirai rien. Je t’aime, ma puce… J’ai du mal à déglutir et hésite à mettre fin à notre conversation. — À bientôt, papa… Je me laisse aller contre le dossier du fauteuil, poussant un long soupir de soulagement. Je ne sais pas trop comment entrevoir le déroulement de la situation entre mon père et moi, mais une petite voix me dit que tout se passera bien. Je prends encore quelques minutes pour remettre mes idées en place. Je suis soulagée de m’être excusée. C’est comme si je venais d’ôter une épine de mon pied. Comme tous les matins, j’allume mon PC et regarde mes e-mails. Je découvre avec stupeur que j’ai une dizaine de messages de Curtis. Que me veut-il encore ? Tremblante, je clique sur l’un d’eux au hasard. C’est toujours la même chose. Il me supplie de revenir vers lui. Je n’en crois pas mes yeux, il est complètement fou. Après ce qu’il m’a fait endurer, il voudrait que je rampe à ses pieds ? J’en ai assez, je ne prends pas la peine de lire les autres. Je les sélectionne et les envoie directement dans ma corbeille. Après avoir jeté un œil aux autres messages publicitaires, je ferme ma messagerie en soupirant. Je regarde mon écran et un sourire se dessine sur mes lèvres sans que je ne m’en rende compte. Il est anormal de fixer son écran de la sorte. Je lève les yeux au plafond, me disant que je devrais arrêter de m’extasier devantce corps sublime qui hante mon écran et mes rêves depuis plus de deux ans. — Tu as fini de le dévorer des yeux comme ça ! Mel… Elle m’a fait peur. Je la regarde et lui souris en remarquant qu’elle tient un plateau contenant deux tasses de café fumant. Elle le dépose sur le lit. Elle est si adorable. Je la rejoins de suite. — Tu es un ange, Mel. — Je pensais que ça te ferait plaisir d’avoir ton petit-déjeuner au lit après notre conversation de cette nuit. J’espère que tu ne m’en veux pas d’avoir été un peu trop brusque ? Ses yeux gris pétillent d’appréhension. Je plonge mon regard dans le sien et lui offre un large sourire, la rassurant aussitôt. — Bien sûr que non, Mel. À vrai dire, parler avec toi a été une très bonne chose… Tu m’as ouvert les yeux concernant mon père et... — Et ? — J’ai pris ma décision. Je l’ai appelé. — Attends une seconde ! Tu l’as appelé ce matin… — Oui et… Je m’interromps volontairement et scrute l’étonnement qui se dessine sur son visage. Elle se met à éclater de rire et me prend dans ses bras. Je ferme les paupières sous cette étreinte amicale qui me manquera énormément. Elle est tellement gentille avec moi. Je ne peux m’empêcher de verser des larmes, elle me manquera tellement. Mel et moi, c’est une grande histoire d’amitié. Nous nous sommes rencontrées il y a très longtemps. J’étais scolarisée dans une école privée, je devais avoir onze ou douze ans la première fois que je l’ai vue. Elle venait d’ailleurs de se faire expulser du cours de français, alors que je faisais mes premiers pas dans l’établissement. Je m'en souviens, comme si c’était hier. J’attendais dans le couloir, pendant que ma mère s’entretenait avec le directeur, lorsqu’elle est arrivée comme une furie, insultant le manque de respect – selon elle – qu’avait eu son professeur. J’avais été prise d’un fou rire. Après cela, nous avions conversé, tout d’abord sur les raisons de son renvoi et quelques minutes plus tard, de nos vies... Ainsi, nous étions devenues les meilleures amies du monde. Aujourd’hui, elle est bien plus que cela. Elle avait toujours su comment me réconforter quand ça n’allait pas et trouvait toujours les mots justes pour m’aider dans toutes les situations. Vers l’âge de dix-sept ans, nous avions fait ce que toutes les jeunes filles de cet âge font. Les sorties, les petits flirts sans grande importance étaient nos moments… Un jour, elle avait connu un garçon prénommé Mathias. Il était très bien et j’étais très contente pour eux. Mel avait les yeux pétillants d’amour pour lui. Seulement, leur histoire avait été très courte, car il devait suivre ses parents en Angleterre. Habituellement, Mel se montrait très courageuse et très forte, mais cette fois-là, elle avait craqué. Durant deux années, elle avait été complètement perdue, faisant les pires bêtises qu’une adolescente puisse faire. J’avais bien évidemment tenté de l’aider au mieux, mais il m’avait fallu du temps… Et maintenant, elle était devenue si belle, si professionnelle dans la vie qu’on aurait du mal à croire toutes les péripéties de son adolescence.Rousse, les cheveux courts depuis peu, ses mèches dorées dansant à présent sur son front. Je me détache de son étreinte et souris devant la moue malicieuse que ses lèvres forment. — Alors, tu as pris ta décision ? — Oui… j’attends le billet d’avion. — Ah, ma chérie, je suis tellement heureuse pour toi, me dit-elle en m’enlaçant dans ses bras. Tu mérites cette vie, Logane… et ton frère ? Il a dû être aux anges quand tu le lui as annoncé ? — Il ne le sait pas encore. J’ai demandé à mon père de ne rien lui dire. J’ai envie de lui faire la surprise. Nous éclatons de rire comme de vraies gamines, excitées toutes les deux à imaginer la tête que Paul fera quand il me verra débarquer au pays de l’Oncle Sam. — J’espère que tu réussiras, Logane. Je suis certaine que tu feras fureur pour la série… — Oh, je n’y ai pas encore pensé… justement, ça me fait un peu peur… — Eh, tu sais très bien que tu y arriveras. En plus, tu es une fan inconditionnelle de cette série télé ! Tu as toujours ton mot à dire quand un épisode se termine… — C’est totalement différent ! — Bon, si tu le dis… mais je peux te demander une faveur ? — Bien sûr, tout ce que tu voudras… — Tout ce que je veux ? demande-t-elle en haussant un sourcil malicieux… *** Alors que nous venons de finir notre petit-déjeuner, je sens le regard insistant de Mel qui pèse sur moi. — Qu’est-ce qu’il y a ? demandé-je d’une voix inquiète à la vue de son visage tendu. — Oh rien… — Je t’ai dit oui pour l’autographe… — Ce n’est pas ça, Logane. — Tu m’inquiètes vraiment. Qu’est-ce qui ne va pas ? — Mais je vais bien, je t’assure, répond-elle en souriant légèrement. — Si tu penses à l’endroit où tu vas vivre, alors je t’arrête tout de suite ! Faisant de grands yeux ronds, elle me regarde, étonnée que je fasse bien allusion à ses pensées. — Tu sais, je n’ai pas envie de vendre la maison et, le temps que je serai partie, j’aimerais que tu restes ici. — Tu en es… — C’est certain, Mel ! la coupé-je en souriant. Nous vivons ensemble depuis plus de trois ans, ne l’oublie pas. Tu es ici chez toi. Elle ne dit rien et fronce les sourcils. Elle aurait dû savoir que je ne lui demanderais jamais de partir comme ça. Mel était venue vivre avec ma mère et moi pour nous aider, quand maman avait eu besoin d’une surveillance constante, lorsque son état s’était aggravé. Étant aide-soignante dans un hôpital de la ville, mon amie avait accepté de venir prendre soin d’elle et quand, peu à peu, sa santé s’était détériorée, Mel avait fini par accepter de venir vivre avec nous. — Merci beaucoup, ma Logane, murmure-t-elle en claquant ses lèvres sur ma joue. — De rien... Bon, il faut que je prépare mes valises, aujourd’hui. — Je vais te donner un coup de main. Que feras-tu de ça ? Je tourne les yeux vers la direction qu’elle montre de sa main. — Mon ordi ? — Oui. Mais je te parle de tout le travail que tu as fait pour un certain acteur. Un grognement sourd s’échappe de mes lèvres devant son air railleur. — J’ai tout prévu, ne t’inquiète pas pour ça. — Tu vas abandonner le forum ? s’exclame-t-elle, choquée. — Il est entre de très bonnes mains, tu sais. J’ai demandé à une des modératrices d’en devenir l’administratrice. Et ça fait un moment que je ne me suis plus intéressée au forum et à SON actualité. — Tu vas me faire croire ça ? rétorque-t-elle en éclatant de rire. — Je n’ai plus assez de temps ! me défends-je. — Mais… ne me dis pas que tu as dit à tes membres que tu partais là-bas ! — Bien sûr que non ! Je n’ose même pas imaginer ce qu’elles pourraient dire si elles savaient que je leur ai caché le lien qui me lie au réalisateur de la série qui fait fureur ! Tu imagines… je serais harcelée pour savoir ce qu’il se passerait dans les prochains épisodes… — Et sur Michael ! Je sens mes joues rougir à ce prénom si doux et si chaud à mes oreilles. Je baisse la tête vers mon écran et regarde les yeux bleu vert qui me fixent. C’est vrai que cet acteur est une vraie bénédiction pour toutes les femmes, quoique… sur ce que je sais de lui depuis un mois environ, beaucoup de fans seraient bien attristées… Le ricanement de Mel me fait revenir sur Terre. — Michael est un acteur qui joue dans cette série, oui… et alors ? — Mais... Qu’as-tu appris sur lui pour que… — Rien de grave, la coupé-je avant de soupirer de résignation. Paul m’a seulement dit qu’il en avait assez que toutes les fans hystériques lui tournent autour. Il y a environ deux mois, il a pété un câble dans le bureau de mon frère. Ils se sont disputés et, à priori, Paul a été blessé par la façon dont il a parlé de ces femmes qui sont prêtes à tout quitter pour se jeter dans ses bras. Mais bon, il est célèbre et je peux comprendre qu’il doive en avoir marre. — Mais tu as été déçue toi aussi… Je pousse un gémissement d’agacement. Comment fait-elle pour toujours savoir ce que je ressens ? — Oui, en effet, j’ai été déçue, mais tu sais, je suis réaliste, Mel. Je ne m’attends pas du tout à ce qu’il me remarque. — Oh, attends une minute ! Tu es la sœur de son patron si je puis dire ! Tu vas certainement le rencontrer très souvent, de plus si tu bosses avec… — Ce n’est pas encore sûr. Je veux bien donner mes idées à Paul, mais pour ce qui est de parler avec les acteurs… — Ne dis pas de sottise ! En tout cas, j’espère que tu me diras tout ! — Je n’ai jamais eu de secrets pour toi, ma petite Mel… Je peux savoir ce qui te fait rire ? — Oh, je ne me moque pas. Imagine un peu que Paul lui dise que tu lui as consacré un forum et… — Non ! la coupé-je immédiatement. Il ne ferait jamais ça… il croit que je l’ai supprimé depuis plus d’un an… et j’ai confiance en mon frère. — Si tu le dis ! En tout cas, je te souhaite tout le bonheur du monde, Logane. Je la remercie d’un doux sourire et nous commençons à préparer mes bagages. Au bout d’une heure, la sonnerie du téléphone interrompt de suite mon geste. Je soupire d’exaspération et décroche. — Comment va ma sœur préférée ? Mon visage s’illumine aussitôt en entendant la voix de Paul. Mel me sourit et sort de la chambre, me laissant ainsi un peu d’intimité. — Paul, ça me fait plaisir de t’entendre… Il rit tandis que je m’écroule sur le lit. — Je suis très heureux de t'entendre aussi, ma puce. Dis-moi, comment tu vas ? — Je vais très bien. Et toi ? — Tout va bien ici. Emma est partie en Australie pour une quinzaine de jours. — Son père a encore des problèmes de santé ? — Oui, souffle-t-il d’un air las. Mais bon, les médecins préfèrent qu’une personne veille sur lui tant qu’il ne s’est pas encore adapté au nouveau traitement. — Je suppose qu’elle doit beaucoup te manquer… — Bien sûr. Elle me manque déjà. Mais, je n’ai pas le temps de penser à elle chaque seconde, on a eu quelques petits problèmes pendant le tournage. — Grave ? — Rien qui ne puisse s’arranger. Mais nous devons revoir les scripts du prochain épisode. À ce propos, as-tu réfléchi à ma proposition ? Je ne peux m’empêcher d’émettre un soupir d’exaspération. Je dois jouer le jeu si je veux que la surprise soit réussie. Mais là, que lui dire ? Paul lit en moi comme dans un livre ouvert et il m’a toujours dit qu’il savait quand je disais la vérité ou non. Cette fois, je dois faire comme si de rien n’était. — Je n’ai pas encore pris ma décision, Paul… Et j’avoue que je ne tiens pas trop à être entourée par tout ce show-business. — Qu’est-ce que tu racontes, ma petite Lolo ? — Arrête un peu de m’appeler comme ça, je ne suis plus une gamine ! me renfrogné-je en roulant des yeux. — Tu seras toujours ma petite Lolo… ma petite sœur. Écoute-moi… je ne comprends pas que tu sois aussi réticente à venir ici. Si ça peut te rassurer, je ferai tout pour éviter que ces personnes t’approchent… — Tu sais aussi bien que moi que ce ne serait pas possible. Tous les paparazzis te mitraillent partout où tu vas. Tu es invité dans les cérémonies et les soirées V.I.P et je vois bien que ça te plaît de figurer sur les photos des journaux ou magazines ! — Quoi ? Me faire prendre en photo ? — Non. Mais toutes ces fêtes et… — Logane, arrête ! Tu devrais savoir que depuis toujours… — Je sais, Paul… excuse-moi. Mais ça me fait peur tout ça. — Tu ne crains rien. Je serai toujours près de toi. Et ça, c’est une bonne raison pour que tu viennes vivre ici, non ? — La meilleure, oui, avoué-je en grimaçant. — Tu me promets de prendre une décision rapidement ? Il est vraiment tenace, mais je dois bien réaliser que c’est un caractère de famille. Je sais qu’il est impatient de savoir si je finirai par accepter, et je peux même imaginer ses traits tirés par l’irrésistible envie de m’entendre dire oui. Mais je lui réserve une surprise, et je ne veux rien gâcher. J’ai trop hâte de voir la tête qu’il va faire ! Oh, il m’en voudra certainement de l’avoir laissé mijoter pendant tout ce temps, mais je prends un malin plaisir à le lui cacher. — Eh, tu es toujours là ? — Euh, oui. Écoute, Paul, je te le dirai tout de suite quand j’aurai pris ma décision, d’accord. Il pousse un long soupir. — Très bien… Bon, je dois te laisser, ma puce. — OK. À bientôt ! Et j’espère que tu régleras vite tes petits soucis. — Oui, mais ça devrait aller, ne t’inquiète pas. Tu sais bien que je m’en tire toujours. J’ai hâte de te revoir, ma Lolo, je t’adore… Je n’ai pas le temps de lui dire quoi que ce soit qu’il raccroche. Perplexe, je me lève et repose le téléphone sur son socle. Mon regard est attiré malgré moi vers l’image qui est toujours sur l'écran de l’ordinateur. Je suis complètement cinglée et vraiment trop rêveuse ! Je peste toute seule et d’un geste vif, j’arrête mon PC comme s’il venait de me brûler. C’est étrange cette sensation que j’éprouve chaque fois que je pose les yeux sur lui. Au début, je me disais que c’était certainement ma crise d’ado qui n’était pas encore passée, mais en allant sur les sites qui lui étaient consacrés, cette idée s’était échappée de mon esprit aussi vite qu’elle y était venue. Effectivement, je n’étais pas la seule femme de plus de vingt-cinq ans à être tombée sous son charme. Michael Roller dégageait quelque chose de mystérieux qui était incroyablement attirant. C’est d’ailleurs assez déstabilisant pour ne pas dire frustrant, d’essayer de découvrir ce petit côté qu’il aime d'ailleurs cacher au grand public. Bon, je sais que j’aurais pu en apprendre plus sur lui en questionnant simplement mon frère, mais je ne voulais pas qu’il sache que j’étais complètement tombée sous le charme du héros de sa série. Je me serais sentie si ridicule en l’imaginant bien éclater de rire à la moindre occasion pour me charrier. Pourtant un jour, sans le vouloir, Paul m’avait donné une information qui était néanmoins très intéressante. Il faut dire que le jour où il m’avait appelée, il n’avait pas le moral. Il s’était confié à moi et j’en étais très touchée d’ailleurs. En fait, ce n’était pas Paul qui avait des problèmes, mais son acteur. Des rumeurs sur sa sexualité allaient bon train, le disant un jour avec une femme, le lendemain avec un homme. Michael n’en pouvait plus moralement d’être toujours questionné ainsi sur sa vie privée, et ce, malgré le démenti qu’il avait officialisé et confirmé auparavant. Paul lui en avait touché deux mots, car il n’était plus aussi concentré sur le tournage, et cela posait problème pour lui. Mon frère est si attentionné envers ses acteurs qu’il tente toujours d’arranger les soucis des uns et des autres afin qu’ils disposent de toute leur énergie sur le tournage. Je souris en repensant que je lui avais dit que tout était possible. Que n’avais-je pas dit là ?! Michael ? Homo ? Non, mais tu es malade ! Je connais Mike et je peux te dire que le sexe opposé l’attire ! m’avait-il répondu en s’exclamant d’une voix sérieuse. Le soulagement était monté en moi à sa réplique, mais je devais garder cela… même si je rage quand je constate que certaines filles ont tendance à croire les potins. — Logane ? Je te dérange ? J’esquisse un large sourire à l’adresse de mon amie qui se tient sur le pas de la porte. — Non… entre. — Tu as laissé ton portable en bas, tu as reçu un message. Je hausse un sourcil interrogateur et attrape le téléphone qu’elle me tend. Je regarde sur l’écran et constate que c’est Curtis ! — Ce n’est pas vrai… Je n’ai pas envie de l’entendre, de le rappeler ou de savoir quoi que ce soit de lui. Il est allé trop loin… — C’est encore lui ? me demande Mel d’une voix inquiète. — Oui. Ça fait plus de trois mois que tout est fini et il n’y a pas une seule journée où il n’essaie pas de me contacter. Il commence sérieusement à me gonfler ! Elle se met à rire, mais c'est nerveux. Je le sais. — Raison de plus pour que tu quittes le pays. — Oui. Et le plus vite possible sera le mieux, j’ai l’impression, lancé-je dans un murmure. — Que veux-tu dire ? Il t’a encore menacée ? Je ne réponds pas et lui tends mon portable afin qu’elle lise le message elle-même. Bon, vu son visage qui pâlit d’inquiétude manifeste, elle n’a pas l'air d'apprécier ce texto également. — Non… mais attends ! Il est fou allié ! Tu devrais prévenir la police une bonne fois pour toutes ! Tu as bien compris ce qu’il veut dire par là ? Tu as l’air de ne pas t’en faire, toi ! crie-t-elle, effrayée. — Je pars vivre à des kilomètres d’ici très bientôt, Mel. Ne t’inquiète pas, tu veux ? Elle lève les yeux au plafond et secoue la tête. — Ne pas m’inquiéter ! Tu réalises qu’il te fait une menace de mort là ? — Je ne pense pas qu’il agira de la sorte, Mel. Il veut juste me faire peur pour me voir ramper à ses pieds, et je ne me laisserai plus avoir, je peux te l’assurer…
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